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Expédition arctique : ils défient la maladie, pari réussi

Catégorie Actus polaires
Date 06/09/2019
Auteur Caroline
Ils l’ont fait. Après plus d’un an de préparation, l’équipe de l’Aventure Hustive 2 a navigué 3 semaines en kayak de mer le long de la côte Nord du Spitzberg et a atteint le 80° parallèle Nord. L’équipe était composée de 4 personnes atteintes de la sclérose en plaques et de 4 autres participants. De retour de cette expédition arctique exceptionnelle, Géraud Paillot, président de l’association sclérose en plaques Rhône-Alpes Dauphiné nous raconte l'aventure.
kayak de mer au Nord du Spitzberg ©Maud Sevaux, guide 66°Nord

Alors on peut parler de cette expédition arctique comme une belle réussite ?

Oui totalement. Je tiens à dire d'ailleurs qu'il y a trois raisons principales au succès de cette expédition :
  • La préparation du séjour par 66°Nord a été au top sur tous les sujets. Tout a été bien mené, aussi bien la logistique, l’encadrement par Maud et Pierrot qui ont été super, la sécurité sur place, la communication, la concertation entre les deux guides qui a mené à la prise de décisions toujours bonnes, bref tout.
  • Maud et Pierre, nos deux guides ont été excellents.
  • La préparation du voyage que nous avons mené en amont, ensemble pendant 18 mois. Une chose qu’il faut retenir, c’est que le 80e parallèle Nord, ça ne s’improvise pas.
Groupe Aventure Hustive 2 devant le glacier de Monaco, Spitzberg ©Maud Sevaux, guide 66°Nord

Qu'as-tu ressenti là-haut ?

Je me suis senti chanceux. Aller au Spitzberg c’est une chance énorme , ça doit être pensé comme une chance. Le Spitzberg ça se mérite, ça se réfléchit. Il faut être humble et conscient de la chance qu’on a de vivre ça. Dans ce voyage au Spitzberg , on est resté dans un milieu complètement naturel pendant 3 semaines. Nous avons vu pas mal d’animaux sauvages : morses, ours, oiseaux, phoques, parfois tout près de nous, curieux, avec cette sensation qu’ils nous observaient. J’ai vraiment eu l’impression d’être dans un zoo inversé . C’était nous les bêtes curieuses et exotiques. Leur présence, leur regard, cette nature sauvage arctique loin de tout, te donne le sentiment de ne pas être à ta place . Tu es chez eux, et c’est eux qui décident de la manière dont les choses se déroulent. Donc il faut être humble, car finalement de quel droit sommes-nous là ? C’est paradoxal, car d’un côté on est tellement heureux d’être là, de vivre ça, on se dit qu’on est extrêmement chanceux et de l’autre côté, ça questionne sur notre présence ici.
Morses observés au Spitzberg ©Romain, voyageur 66°Nord/Aventure Hustive

Phoque annelé au Spitzberg ©Louis, voyageur 66°Nord/aventure Hustive 2

Alors qu’on était au Nord de l’archipel, j’ai vu un gros bateau de croisière avec ses centaines de touristes à bord. Nous, nous étions un petit groupe , anecdotique dans l’immensité du paysage, nous déplaçant dans un moyen de transport doux, silencieux et non polluant : le kayak de mer . Je pense qu’il y a un juste milieu dans tout ça, entre ne pas y aller et arriver par centaines. Tant que l’on ne dérange pas, nous pouvons cohabiter ponctuellement ensemble. Mais il faut garder à l’esprit que : nous sommes de simples visiteurs, nous devons être humbles et discrets, conscients de la chance qu’on a d’être là.

Vous avez choisi le Spitzberg pour témoigner du réchauffement climatique, que peux-tu nous en dire ?

Cette terre de glace est attaquée et affaiblie comme la myéline de notre corps par la sclérose en plaques. La glace fond et le dérèglement du climat se ressent vraiment là-bas. Par exemple on a déjeuné face au glacier de Monaco. Et bien, il y a des années, cette baie était prise dans les glaces. Maintenant, c’est dégagé et on peut s’y rendre facilement en kayak. C’est là où tu te dis “ non, le réchauffement climatique, c’est pas une blague ”. Tu le sais, mais le voir, c'est encore autre chose.
Monacobreen ©Maud Sevaux, guide 66°Nord

Icebergs, Liefdefjorden, Spitzberg, Svalbard ©Maud Sevaux, guide 66°Nord

Un truc aussi qui nous a choqués, c’est que plusieurs plages étaient polluées . On a trouvé des déchets plastiques , de vieux barils rouillés, des détritus humains en tout genre. Ça nous a fait bondir. On est au bout du monde, à 80°Nord, et on trouve des déchets. On se dit que ce n’est pas possible de prendre conscience aussi tard de l’impact de notre développement économique. Quand on voit ça, on se dit qu’il faut penser notre consommation autrement . Il faut penser “raisonné” et non “consommé”. On est trop dans la consommation. Notre mode de vie a des conséquences jusqu’au bout du monde, dans des endroits reculés, sauvages et loin de toute civilisation comme le Spitzberg.
Pollution des plages du Nord du Spitzberg ©Romain, voyageur 66°Nord/Aventure Hustive 2

Qu'est-ce que c'est de vivre 3 semaines au Spitzberg ?

Être au Spitzberg, c’est vivre au gré des éléments naturels , ça nous oblige à être modeste, car on ne maîtrise rien. Ça nous oblige aussi à être dans l’instant présent . Si un jour il fait froid, gris, venteux, on s’en fou ! C’est ça le Spitzberg. Pour ma part, j’ai monstrueusement adoré qu’il y ait du mauvais temps . Tu es dans les éléments, tu affrontes et vis avec les éléments. C’est dans ces moment-là où je me sens vivre. J’ai aimé pagayer avec du vent dans la figure ! Parce que tu sors les bras, tu baisses la tête et t’y vas.
Kayak par temps gris ©Maud Sevaux, guide 66°Nord

Est-ce que parfois votre maladie a été un frein dans l'aventure ?

La maladie ne nous a pas empêchés d’avancer. On a tous eu des passages à vide à un moment donné bien sûr, mais tous les quatre, on a une caractéristique : quand ça va pas, on ferme notre bouche, on sert les dents et on avance. À notre retour, on nous a demandé : “ tu as pagayé combien de temps par jour ? Tu as parcouru combien de kilomètres ? ”. Ce qui a été dur ce n’est pas le temps durant lequel on a pagayé ou la distance parcourue, mais l’ensemble des choses pendant le voyage : installer le campement , décharger les kayaks... et ça physiquement, encore plus pour nous qui avons la sclérose en plaques, c’était très fatigant. Mais si on était fatigué plus que les autres, on encaissait.
Camp monté, fin de la journée ©Maud Sevaux

Oui c’est dur, on a une maladie dégénérative, oui ce n’est pas simple au quotidien, mais on se prépare pour vivre des trucs de fou, et on est prêt. Concentrons-nous sur les aspects positifs car c’est ça que l’on vient chercher là-haut : se dépasser, se prouver et prouver au monde que c’est possible, qu’on est capable, malgré la maladie. Et aussi qu’ Ensemble, on peut tout accomplir. Car ce n’est pas seulement notre propre force qui nous a permis de réaliser cette expédition, c’est la force du groupe , la complémentarité entre personnes atteintes de la sclérose en plaques et personnes non malades. On s’est entraidé et on pouvait compter les uns sur les autres. Le groupe a été fabuleux, personne n’a jamais rechigné. Chaque personne dans le groupe a été exceptionnelle.
Groupe Aventure Hustive à Texas Bar, Nord du Svalbard ©Romain

Je n’aime pas le regard que l’on a sur les gens handicapés. Finalement on est aussi des gens “normaux”, c’est dans le mental que ça se joue. Si t’as envie et que tu te donnes les moyens, tu peux aller au bout du monde. L’un des plus beaux témoins de ça, la véritable réussite de cette expédition arctique Aventure Hustive 2, c’est Camille. Avant ce projet Aventure Hustive 2 au Spitzberg, Camille, malade depuis l'âge de 18 ans n'était pas au sommet de sa forme : obligée d'arrêter de travailler, plus de sport et moral pas au top. Cet été, elle a passé 3 semaines dans un voyage sportif ultra-engagé à faire du kayak de mer dans l’Arctique en affrontant les éléments. Elle sait désormais qu’elle est capable. Elle revit. Cette expédition et toute sa préparation en amont lui ont permis de se reconstruire. Elle cherche désormais du boulot et croit en elle. Elle est la preuve qu’on peut redémarrer malgré une maladie pourrie à force de volonté et de préparation.
Groupe Aventure Hustive 2 ©Louis, voyageur 66°Nord/Aventure Hustive 2

Qu'est-ce que tu as préféré au Spitzberg ?

Vivre dans les éléments

J’ai adoré être dans les éléments, voir la glace , les glaciers, Monacobreen, Nordbreen, Wijdefjorden... Un jour, on a navigué parmi de très gros glaçons, il faisait gris et brumeux, on ne savait pas où on allait précisément, c’était dur de se repérer et j’ai adoré ça. C’est l’aventure ! J’aime aussi cette sensation de se sentir petit , presque rien, au milieu de grands espaces qui t'imposent le respect.
Camp au pied des montagnes du Svalbard ©Maud Sevaux, guide 66°Nord

J’ai également adoré qu'il neige. L’un de notre objectif était de monter au 80° parallèle Nord , mais le temps ne nous laissait pas y aller. On était à Polheim, à à peine 12 km du 80e et le vent soufflait… impossible d'embarquer en kayak. Le dernier jour avant le départ, le vent s’est arrêté. C’était notre dernière chance . Il s’est mis à neiger. Et monter au point le plus haut de notre aventure polaire, au 80e parallèle Nord, sous la neige, c’était magique.
Tempête à Polheim, le groupe attend que le vent tombe et profite du paysage battu par les vents ©Maud Sevaux, guide 66°Nord

Dernier jour sous la neige, objectif 80° parallèle Nord, Spitzberg ©Romain

On a aussi eu la chance de croiser les premières plaques de banquise en rentrant. En fait, le Spitzberg est imprévisible , tu ne sais pas du tout comment ça va être de l’autre côté, quel temps il va faire, si tu vas pouvoir embarquer. Tu apprends à vivre avec ton environnement et à être à son écoute.

Vivre... avec rien et vivre l’instant présent

Quand je suis rentré, au bout de 2 ou 3 jours, j’ai voulu aller voir un supermarché . Pendant trois semaines, on a vécu avec pas grand chose : quelques tentes, un peu de nourriture, on puisait l’eau dans les lacs environnants, on avait une pelle et un rouleau de papier en guise de toilettes, pas de douche et on était bien. Quand je suis rentré dans le supermarché, j'avais un autre regard sur ces étals de 1000 choses dont on n’a finalement pas besoin et je me suis dit, la vraie vie, elle est là-bas . Ce genre de voyage, rustique, sauvage, aventure, remet en question notre manière de vivre et nos besoins au quotidien. Tu te rends encore plus compte à quel point cette course à la consommation est totalement insensée. Au quotidien, on est dans la frénésie de la vie, on ne vit pas dans l’instant présent. Alors qu’ au Spitzberg, tu es dans l’instant présent . Tu vis intensément chaque moment. Tu savoures.
Kayak parmi les icebergs ©Romain, voyageur 66°Nord/Aventure Hustive 2

Les animaux sauvages du Spitzberg

On a adoré observer tous les animaux : les oiseaux, les morses, les ours, les phoques, les rennes, voir des oiseaux qui marchent sur l’eau pour prendre leur envol, des phoques curieux, les morses gracieux et agiles dans l’eau, bref tous les animaux. Une nuit, Louis était de garde et a donné l’alerte : “ ours ”. C’était une femelle, elle avait la tête levée, en train de humer l’air en nous regardant. Elle nous sentait à distance. Une belle rencontre et une chance incroyable.
Ours polaire ©Romain

Renne du Svalbard ©Louis, voyageur 66°Nord/Aventure Hustive 2

La notion d’itinérance

J’aime énormément la notion d’itinérance, arriver et ne pas savoir où on débarque, découvrir à chaque fois, ne pas savoir s’il va y avoir de l’eau, si le territoire est propice à l'installation du camp...
Voyage Spitzberg Texas Bar
Pour résumer, c'était une aventure incroyable . Ç'a été une vraie réussite. On l'a fait. On était quatre à être atteints de la sclérose en plaques et on a réalisé une expédition arctique engagée de trois semaines en kayak à l'un des points les plus au Nord du monde. Même avec la sclérose en plaques, on peut y arriver avec une bonne préparation et de l'entraide. Quand on voit ces glaciers, ces animaux sauvages arctiques, ces montagnes colorées prodigieuses, on a une chose en tête quand on revient : l'envie de les protéger.
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