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Guide polaire en Antarctique, un métier unique

Catégorie Portrait de l'équipe
Date 19/03/2019
Auteur Caroline
Travailler en Antarctique, c'est ce qu'a expérimenté « Manu », guide 66°Nord, parti travailler 3 mois dans la station belge Princesse Elizabeth. Manu est certifié « International Polar Guide » ( IPGA ), organisation rassemblant des professionnels reconnus pour leurs compétence spécifiques dans ce milieu. Dans cette interview, il nous raconte son aventure en Antarctique.
Manu Poudelet en Antarctique ©Manu Poudelet

Peux-tu te présenter ?

J'ai commencé à guider pour 66°Nord en 2013, au Spitzberg l'é , puis j’y ai enchainé les saisons d’été et de printemps, en kayak de mer et randonnées à ski, jusqu’à l’année passée. J'ai aussi guidé à Hossa en Finlande , les hivers 2014 et 2015. J’ai également une autre casquette : celle d’infirmer urgentiste. J'ai travaillé 10 ans comme tel avant de partir faire une école de guide au Canada en 2011. C’est à compter de ce moment que je me suis consacré principalement à ce métier tout en gardant parallèlement mon activité paramédicale. L'idée est maintenant de faire environ 50/50 entre les deux fonctions. Quand je n'ai pas de séjours à encadrer, je travaille dans divers hôpitaux, en France ou en Belgique. Mon objectif est de m'orienter vers la médecine d'expédition, qui est à la croisée de ces deux professions, et d’ainsi utiliser mes connaissances médicales dans un environnement de plein air.
Voici Manu.... ©Manu Poudelet

Manu, du haut d'une crevasse ©Manu Poudelet

Pourquoi être parti travailler en Antarctique ?

La Belgique est présente en Antarctique grâce à la station Princesse Elisabeth. Elle a été conçue et est gérée par la Fondation polaire internationale (IPF), présidée par Alain Hubert, pionnier de l'aventure polaire. C'est un très bon ami. L'année dernière, je lui ai dit que j'étais intéressé à venir travailler à la station et, quelques mois plus tard, je partais. Bien sûr, mes compétences de guide certifié " IPGA " et d'infirmer urgentiste ont été indispensables à mon embauche.

Dans l'Arctique, notamment au Svalbard, les guides doivent gérer la présence de l'ours polaire, quels sont les dangers à gérer en Antarctique pour un guide ?

Le danger principal en Antarctique, c'est le changement soudain et brutal de météo, malgré les prévisions très fiables. Il peut faire très beau, et si le vent se lève, cela sera toujours le cas, mais il apparaîtra vite un phénomène qu’on appelle le " drifting snow" : la neige vole et on se retrouve dans un brouillard total alors qu'il fait beau.
"Le vent se met à souffler et ne faiblira pas pendant les 15 prochaines heures." ©Manu Poudelet

L'autre contrainte est inhérente à l’isolement. On ne peut pas se permettre d'avoir des soucis, car les conséquences peuvent rapidement devenir dommageables. Il faut donc redoubler de vigilance. Certains endroits, par exemple, peuvent receler énormément de crevasses. Un terrain plat et apparemment sans danger peut s’avérer être plus risqué qu’il n’y parait. En fonction des saisons, les dangers ne sont pas les mêmes non plus. En été, le froid n'est pas vraiment un souci car il est gérable, mais les risques liés aux activités en elles-mêmes, tels que la motoneige ou l’alpinisme, demeurent. Le guide doit encadrer et sécuriser tout ça, quelles que soient les conditions.

Quel était le climat quand tu y étais ?

J'étais en Antarctique entre novembre et janvier. A cette période, c'est l'été sur le continent. C'est donc le jour permanent et les températures sont relativement chaudes. Au début de la saison, soit fin octobre, il fait entre -15 et -20°C. Au milieu de l'été, les températures sont plutôt comprises entre -8 et -5°C. Après, tout dépend du refroidissement éolien qui peut donner un ressenti bien en-dessous. La température moyenne était d’environ -10°C. La base a la particularité d'être à l'intérieur des terres. Donc le temps est plutôt sec et froid. Sur la côte, le climat est plus chaud et humide. Personnellement, je n'ai jamais eu froid, mais nous étions très bien équipés aussi.
"Une fois le site choisi par les deux scientifiques, je creuse des trous pour y enfoncer les futurs piquets qui serviront de supports aux appareils de mesure." ©Manu Poudelet

Comment s'organise la vie dans la station ?

La station peut accueillir jusqu’à une quarantaine de personnes, mais nous y sommes généralement entre 20 et 30 permanents. À cela se greffe une dizaine de scientifiques. Dans le staff présent durant mon séjour, on trouvait autant des mécaniciens que des ingénieurs pour le traitement de l'eau, pour l'électricité, l'électronique et les télécommunications. Il y avait également des plombiers, des menuisiers, des charpentiers, des soudeurs, des techniciens polyvalents, des cuisiniers, le médecin, l'infirmier et les guides. À cette équipe se greffaient les équipes scientifiques qui viennent ponctuellement durant la saison et en fonction des missions. La station Princesse Elisabeth date de 2009 et a la particularité d'être la première et l'unique station en Antarctique avec 0 émission de CO2. L'énergie est uniquement éolienne ou solaire. On y traite également les eaux usées. Les déchets sont envoyés en Afrique du Sud pour y être recyclés puis reconditionnés. Pour la cuisine, on a un gros stock de nourriture dont le ravitaillement se fait par avion. La nourriture est majoritairement fraîche et congelée. La station Princess Elizabeth est autonome et entièrement automatisée. Elle est habitée seulement pendant l'été antarctique alors que la majorité des autres stations sont habitées de manière permanente. La station belge est mise en veille de mars à octobre et gérée à distance, car tout le système informatique est autonome, ça permet de ne pas avoir de présence humaine en permanence.
Princess Elisabeth Station ©International polar foundation

Quel était ton métier principal là-bas ?

Tous les gens de la station ont une double, voire triple compétence. J'étais engagé d'abord comme guide, puis comme infirmier, et ensuite comme main d’œuvre polyvalente, c’est à dire que j’intervenais aussi en soutien dans les autres secteurs : la logistique, la gestion de matériel, la cuisine… Sur la base, on travaillait 6 jours par semaine de 8h à 20h, du lundi au samedi. Le dimanche était libre. On avait également nos soirées, à partir de 19h/20h. Les journées étaient assez chargées. Malgré le climat et l'environnement extrêmes de l'Antarctique, la station offrait un vrai confort de vie. Par exemple, on avait très facilement accès à internet et au téléphone dans la limite du raisonnable.
"Construction des supports en bois pour des grandes tentes qui serviront d'abris pour les scientifiques lors de leurs missions sur le terrain, afin de faciliter le montage dans de mauvaises conditions et éviter que les armatures metalliques ne s'enfoncent dans la neige." ©Manu Poudelet

Quelle faune et flore as-tu pu observer ?

En terme de flore, quasiment rien, mises à part quelques traces de lichens sur certains rochers proches des colonies d'oiseaux. En terme de faune, principalement des oiseaux, des pétrels notamment, mais ça restait rare. Près de la côte, on peut voir des manchots, mais pour ma part, je n'en ai pas croisé.

Quelles différences entre l'Arctique et l'Antarctique as-tu pu expérimentées ?

L'immensité, déjà ! En Antarctique, les distances sont énormes. Et même autour de la station, on a une vision qui porte sur plusieurs centaines de kilomètres. Tout est immense, les montagnes, les glaciers, les moraines… Une chose m’a surtout frappée : le silence. Quand il n'y a pas de vent, il n'y a absolument aucun bruit. En Arctique, principalement au Svalbard, la topographie est très différente, plus accidentée, avec les glaciers, les fjords, les montagnes, alors qu'en Antarctique, on était parfois vraiment au milieu d'un désert à perte de vue.
Immensité de glace en Antarctique ©Manu Poudelet

Qu'est-ce que tu as le plus aimé et le moins aimé en Antarctique ?

J'ai aimé mon travail, ce pour quoi j'ai été engagé. Le travail de guide ici n'est pas le même, tant par la localisation que par les personnes à encadrer. Les groupes sont autonomes. Il n'y a pas la contrainte de l'ours polaire . Ici je pouvais laisser les scientifiques partir seuls à la journée. Quand il fait beau par exemple, et qu'il n'y a pas de vent, on se sent rassuré. Il y a peu de danger apparent. Mais il faut toujours faire attention, malgré tout. La rigueur reste de mise.
"Toutes les 3h, j'appelle Naki qui, resté sur sa morraine, continue ses echantillons. Nous sommes séparés d'une 20aine de km donc il est important de savoir si il va bien et que tout soit ok pour lui." ©Manue Poudelet

J’aurais aimé avoir plus d’occasions à consacrer à ma fonction de guide et elle a été finalement assez limitée par rapport au temps passé sur place. Certes, j’étais référent en termes de mission terrain, mais j’ai principalement travaillé comme polyvalent.
Equipe scientifique sur place en Antarctique ©Manu Poudelet

Tu y retourneras ?

Ah oui ! Et c'est déjà fixé, normalement. De nouvelles missions scientifiques sont prévues sur le plateau Antarctique pour 2019-2020.
Station belge Princess Elisabeth ©International polar foundation

Quels sont tes futurs projets ? Toujours des projets en terres polaires ?

Pour l'instant, je dois encadrer une traversée du Groenland de fin avril à début juin. Oui, toujours en terres polaires. Ce que je trouve intéressant dans ces parties-là du monde, c'est que ce sont des milieux extrêmes. Très exigeants, ils demandent beaucoup de préparation, de gestion, et d'anticipation. Le moindre détail compte. Ce qui m'intéresse aussi toujours beaucoup, c'est que cet air invisible à des températures extrêmes, affecte ton organisme, il t’est délétère, C'est quelque chose qui te fait vivre. Mais je n’oublie pas non plus de me faire mes propres sorties et expéditions en solo. Quelques grandes traversées comme les Pyrénées, la Kungsleden, la Norvège… me démangent.
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